Interview du « Courrier européen des mollusques »
(Organe central des amis européens des escargots)
avec Mirtan B. Hinreich
CEM : Un entretien avec M. MBH, le père du « snail art »…
MBH : Malheureusement, je dois d’emblée vous contredire : « snail art » est un anglo-américanisme tout à fait malvenu et irritant. Vous pouvez parler d’« art des escargots », utiliser le terme allemand « Schneckenkunst », pourquoi pas, ou – encore mieux – recourir à l’expression latine « ars cepearum » : voilà ce que je vous propose. Nous avons notre propre langue, non ?
Quant au terme de « père », je m’y oppose catégoriquement – je ne suis pas le père de l’ « art des escargots », qui n’a pas besoin de moi pour exister, ni de l’humanité d’ailleurs. Nous sommes au troisième millénaire post Christum natum, et homo sapiens sapiens devrait urgemment abandonner cette vision anthropocentrique qui a mené notre planète au bord du gouffre.
CEM : Ce qui nous mène au vif du sujet : Monsieur MBH, comment concevez-vous votre position et votre fonction au sein de l’art des escargots, qui est devenu au cours des derniers mois le nouveau filon des cercles artistiques sélect dans notre pays et à l’étranger. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous consacrer de manière aussi intense à cette forme d’art, au point qu’on vous identifie presque avec ce mouvement ?
MBH : Ce n’était probablement pas un choix conscient, mais vous avez cette fois-ci choisi une formulation qui fait mouche : « qu’est-ce qui vous a poussé ? » - et effectivement, j’ai été poussé.
CEM : Comment, quand, où, et par qui ?
MBH : Cela fait beaucoup de questions à la fois, mais je vais également pouvoir y répondre en une fois. Lors de l’une de mes promenades quotidiennes dans le jardin public du quartier berlinois de Köpenick, la conscience collective de la population locale du genre cepaea, qui compte aussi bien des escargots des jardins (cepaea hortensis) que des escargots des bois (cepaea nemoralis), a établi avec moi un contact mental et m’a transmis les principes fondateurs de l’art des escargots.
CEM : De quelle manière un Européen éclairé peut-il se représenter cette prise de contact ?
MBH : Il faut reconnaître que c’était une expérience à la fois bouleversante et euphorisante, que je ne peux que souhaiter à toute personne de bonne volonté. Toutefois, il ne m’appartient pas d’en dévoiler des détails au public.
CEM : Peut-être une espèce de vision ?
MBH : Oui, c’est probablement ce qui s’en rapproche le plus. En tout cas, je savais qu’un être intelligent souhaitait me communiquer quelque chose, et j’ai fait le choix de ne pas m’opposer à cette volonté.
CEM : Pourquoi à vous en particulier ?
MBH : En tant que Westphalien, et plus particulièrement encore en tant que Westphalien de l’est, j’ai l’impression d’être plutôt prédisposé à ce genre de prise de contact – nos deux tribus présentent un grand nombre de caractères similaires.
CEM : À quoi pensez-vous plus précisément ?
MBH : Nous avons en commun un attachement profond à notre territoire, un mutisme atavique, un penchant pour la Spökenkiekerei, un sens de l’humour et de l’abracadabrantesque, à quoi s’ajoute notre modestie et notre parcimonie.
CEM : Voilà un catalogue impressionnant de points communs. Et vous croyez donc que c’est pour cette raison que la population des cepaea du jardin public de Köpenick a établi le contact avec vous ?
MBH : Ce n’est pas une question de croire, ce sont des faits.
CEM : Sur quoi ces contacts ont-ils porté ? Qu’est-ce qui vous a été révélé ?
MBH : Tout d’abord, les bases – les cinq Nécessités : - au moins trois containers en forme de coupole pour différentes couleurs de verre à recycler, - un tilleul sous lequel sont placé ces containers, - les sécrétions collantes des fleurs du tilleul coulant sur ces containers, – de la pluie, pour permettre à des algues noires de se développer – et finalement, une population de cepaea souhaitant réaliser un travail artistique sur ce lieu.
CEM : Autrement dit, les escargots broutent les algues ? …
MBH: Justement pas ! Les cepaeae se rendent sur ces containers pour y développer une activité artistique. Ils utilisent le matériel disponible en tant que surface de travail et consomment sur place le matériel restant. Cela témoigne de la conscience écologique aigue des escargots, dont nous – les homo sapiens sapiens – pourrions nous inspirer. Nous utilisons des matériaux, et nous jetons les restes. Nous cherchons à faire de notre art un gagne-pain et courons le risque constant de suivre la danse de ceux qui paient le bal, pour ainsi dire. L’approche des cepaeae est autrement plus souveraine : ils restent indépendants et créent ce qu’ils veulent eux-mêmes exprimer, à l’abri de toute influence corruptive.
CEM : Monsieur MBH, ne prêtez-vous pas là aux escargots des attributs qu’ils n’ont pas et ne peuvent pas avoir ? Après tout, l’homme, ou, comme vous le désignez ironiquement, l’homo sapiens sapiens, est quand même le couronnement de la création.
MBH : Justement pas ! C‘est totalement faux ! Il est évident que l’escargot, ne serait-ce que par sa forme, renvoie vers quelque chose de plus grand, et même vers ce qu’il y a de plus grand : l’univers ! L’essence de la forme de l’escargot, c’est la spirale, soit une représentation des galaxies, du cosmos ! En tant que genre humain, nous devrions faire exercice d’humilité et nous incliner devant cette manifestation de la grandeur de la création et du créateur, et soumettre à une réflexion critique notre propre position et notre propre importance. Le jour viendra où nous toutes, nous tous, que nous appartenions au genre cepaea ou sapiens sapiens, serons assis autour de la même table – ronde ! – pour admirer la beauté de la création. Je ne me vois donc pas en tant que « père », contrairement à ce que vous avez dit à tort au début de cet entretien, mais en tant que commissaire, ou intermédiaire, des cepaeae et de leur art ; je m’efforce de mettre mes modestes moyens à leur disposition.
CEM : Monsieur Hinreich, je vous remercie de cet entretien.
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